17 avril 2016 : que reste-t-il de l'héritage politique du député-poète ?

Le 17 avril 2008, à l'âge vénérable de 94 ans, Aimé CESAIRE, père de la Négritude et député de la Martinique, décédait au terme d'une existence à la fois littéraire et politique extrêmement riche qui marquera le XXè siècle. Au plan littéraire, André BRETON, lui-même pape du surréalisme, avait qualifié l'homme de Basse-Pointe de plus grand poète de son temps qui maniait "la langue française comme aucun Blanc ne peut le faire aujourd'hui". L'œuvre de CESAIRE a par la suite connu un succès phénoménal à travers le monde, notamment aux Etats-Unis, au Canada et en Afrique noire où nombre d'universités l'étudient. En Martinique, son propre pays, on ne peut pas dire qu'il en fut tout à fait de même entre une bourgeoisie "mulâtre" de l'époque dont Frantz FANON devait dénoncer l'aliénation et des masses populaires, toujours à l'époque, peu francisées linguistiquement et donc pour lesquelles l'œuvre du poète était inaccessible.
Dans la deuxième moitié du XXe siècle, suite à la scolarisation massive de la population, l'œuvre de CESAIRE, (mais aussi celle d'autres auteurs antillais) fit son entrée, certes timide, dans le cursus scolaire de nos collégiens et lycéens. Le développement du théâtre, la radio, la télévision, le Festival Culturel de Fort-de-France etc..., tout cela permit de faire connaître "CAHIER D'UN RETOUR AU PAYS NATAL" ou "UNE SAISON AU CONGO". Toutefois, force est de reconnaître que jusqu'à aujourd'hui, y compris au sein du parti créé par CESAIRE, le PPM (Parti Progressiste Martiniquais), la connaissance de l'œuvre littéraire de ce dernier est moyenne, voire médiocre. Hormis deux ou trois vers sans cesse ressassés ou plutôt des bouts de vers agités tels des hochets ("hors des jours étrangers" etc.). Il y a d'ailleurs quelque chose d'à la fois amusant et écoeurant de constater le nombre de césairistes ou césairôlatres qui affichent le plus grand mépris pour la littérature. Ils se cachent tous derrière la figure du poète, mais considèrent que les littéraires sont soit des incompétents soient des inutiles.
Allez comprendre !
Au plan politique, par contre, l'œuvre de CESAIRE est mieux connue du grand public. Le petit peuple sait ce qu'il a fait pour les quartiers défavorisés, les emplois que sa municipalité a offerts en nombre après l'exode rural qui a fait suite à l'effondrement de l'industrie sucrière dans les années 60 du siècle dernier, l'action culturelle menée par le biais du SERMAC etc..., ce qui lui a valu le surnom affectueux de "Papa CESAIRE". Son action politique, ses mots d'ordre successifs ("Autonomie", "Moratoire" etc.), ses ouvrages ("Discours sur le colonialisme" etc.) sont connus du public intellectuel au sens large de ce terme. Désormais, grâce au travail considérable de l'historien Edouard DELEPINE, la quasi-totalité des écrits politiques, mais surtout des discours du grand homme sont désormais disponibles en librairie et c'est une excellente chose car, même à l'heure de l'Internet, verba volent, scripta manent.
Il est clair en tout cas que l'œuvre de CESAIRE est plus grande que l'idéologie de la Négritude et que son œuvre et sa pensée politique sont plus grands que le PPM. C'est en cela qu'il est universel. Ce sont d'ailleurs les deux chantiers que devraient bientôt ouvrir les spécialistes de chacun des deux versants de sa personne (et de sa personnalité) sachant qu'il est impossible, comme on l'a fait trop souvent, de dissocier complètement le littéraire/le philosophique du politique chez lui.
Il est donc inutile (et ridicule) de le déclarer "plus grand penseur du monde" comme l'a fait, en ce jour anniversaire de sa mort, une affidée sur le Net. La pensée n'est pas un match de basket ou une course de 100m et ne comporte donc ni Mickael JORDAN ni Usain BOLT. Avant de déclarer n'importe quoi, les césairolâtres (à distinguer des "césairiens", ce que sont tous les Martiniquais) devraient peut-être apprendre à lire...