Nous avons la mémoire courte. Neg pa ni mémwè, dit le créole...
Aujourd'hui, les rejetons de ces "transportés" ("déportés" pourrait choquer, n'est-ce pas) vivent encore dans leur grande majorité dans des banlieues où l'on avait soigneusement parqué leurs grands-parents__on en est à la troisième, voire quatrième génération maintenant__à côté des autres descendants d'immigrés africains et arabes. Leur carte d'identité française, leur religion chrétienne et leur parler français ne les a pas, aussi incroyable que cela puisse paraître, protégés ou avantagés par rapport aux immigrés étrangers, souvent musulmans et ne sachant pas parler la langue de Molière au départ. En fait, le banlieusard antillais est la preuve par neuf de la discrimination raciale qui sévit dans l'Hexagone. Car autant on pourrait comprendre, à la limite, que quelqu'un qui n'a pas des papiers français, qui n'est pas chrétien et qui baragouine à peine le français soit rejeté, voire discriminé__nous disons bien : à la limite__, autant dans le cas des Antillais, il n'y a aucune raison particulière au rejet, hormis la couleur de la peau. L'Antillais n'a pas besoin de faire la queue à la préfecture pour quémander une carte de séjour, il n'a pas besoin de cours du soir pour apprendre à se débrouiller en français et si les églises françaises ne sont pas totalement vides, c'est parce que les fidèles antillais les remplissent chaque dimanche matin.
Tout ce monde donc (Antillais, Africains, Arabes) a été parqué dans ce que les pouvoirs publics et la presse nomment avec condescendance "les banlieues", "les quartiers sensibles" ou "les territoires perdus de la République" lesquels ressemblent étrangement aux "bantoustans" de l'époque de l'apartheid puisque la police y effectue de véritable raids comme si elle se trouvait en territoire ennemi. Elle plaque les passants, comme THEO, au mur ou au sol, elle les palpe sans ménagement à la recherche de drogue ou d'armes, leur bourre les côtes de coups de pieds et la tête de coups de matraque, toutes choses que n'importe qui peut voir sur cent vidéos qui circulent sur le Net. Et parfois, elle leur enfonce une matraque dans l'anus ! L'interpellation du jeune "Beur" ou du jeune "Black" est devenu un grand classique de la police française et c'est à se demander si elle n'est pas enseignée dans les écoles chargées de former les agents et autres officiers. En même temps, difficile d'accabler ces derniers qui pénètrent en territoire ennemi et qui peuvent à tout moment recevoir un objet volant bien identifié sur le crâne. Oui, mais qui est responsable du fait que les banlieues soient devenues des territoires ennemis ? Qui a fait que celles-ci sont comme qui dirait des colonies intérieures ? Autrefois, les colonies étaient aux Antilles, en Afrique noire et au Maghreb ; aujourd'hui, elles sont à Bobigny, à Evry ou à Mantes-la-Jolie.
Le responsable : la politique française à l'égard des Noirs et des Arabes, tous gouvernements et tous partis politiques confondus.
Alternant répression et paternalisme, solutions-poudre-au-yeux et indifférence, les gouvernements français de droite comme de gauche n'ont jamais sérieusement considéré ce qu'on peut appeler "la condition immigrée". Leur mot d'ordre récurrent a été : "Intégrez-vous et tout ira bien !". Sauf que le cas de l'immigré antillais, comme expliqué plus haut, prouve qu'il s'agit là d'une pure chimère. L'Antillais est déjà archi-intégré, assimilé, francisé etc. à son départ des Antilles et pourtant il rencontre exactement les mêmes obstacles que les Africains et les Arabes. Mais il faut regarder aussi l'autre facette de la médaille à savoir le patronat français, pas seulement la facette politique. C'est lui et bel et bien lui qui a pesé de tout son poids pour faire venir des immigrés en France, assoiffé qu'il était de main d'œuvre bon marché et taillable et corvéable à merci. Avant l'indépendance de l'Algérie, il y avait déjà 350.000 immigrés algériens en France, par exemple ! Dans les années 70, l'image de l'Arabe avec son marteau-piqueur et de l'Africain éboueur était banale. Tous ces gens ont d'ailleurs payé un lourd tribut à la reconstruction de la France d'après-guerre. Une bonne partie des "Trente glorieuses" a reposé sur les épaules des Arabes, des Africains et des Antillais. Mais ça personne ne le dit ni ne l'écrit. Pendant toute cette période, il y a eu en moyenne 1 mort chaque jour par accident de travail dans le secteur du bâtiment et des travaux publics puisqu'on construisait à tour de bras des usines, des HLM, des ponts et des autoroutes. Or, 90% des travailleurs de ces secteurs, pudiquement dénommés OS (Ouvriers Spécialisés), étaient des Arabes ou des Noirs !
Inutile d'insister et de se perdre en démonstrations que tout le monde peut vérifier ! Le problème qui est posé à nous, Antillais vivant aux Antilles est simple, clair et net : allons-nous continuer à accepter ad vitam aeternam que les nôtres soient traités comme des moins-que-rien dans les banlieues et autres villes-dortoirs de l'Hexagone ? Nos élus demeureront-ils la bouche cousue ? Nos intellectuels persisteront-ils à regarder ailleurs et à blablater sur le "Tout-monde" ? Nos populations préféreront-elles oublier nos frères et sœurs qui vivent "là-bas" et continuer à vivre leur petite existence hédoniste de "Chanté-nwel-Kannaval-vakans-Pak-Tour cycliste-Tour des yoles" ?
Car nous traitons correctement les Français de l'Hexagone qui vient chez nous et nous devons exiger le même respect pour les nôtres installés dans ce même Hexagone...